“Mademoiselle.”

Ton neutre. Indifférent. Faisceau lumineux créant des ombres mouvantes derrière les parois fines de mes paupières.

“Elle est groggy. Elle va se réveiller. Tu lui poseras les questions d'usages quand elle sera en état d'y répondre”.

État d'hébétude total. Clignement de paupières. Lumière blanche, aseptisée. Mon cerveau ne semblait pas vouloir me transmettre d'informations, me laissant dans le flou le plus complet.

“Comment vous sentez vous, mademoiselle ?”

Voix indubitablement féminine, laissant passer une impression d'ennui diffus. Quelqu'un parlait. Quelqu'un disait quelque chose. Je devais répondre. Comment on faisait, pour répondre ?

“Je... Oh. Je ne sais pas.”

“Je vois, vous êtes encore un peu désorientée. C'est normal. Simple symptôme post-opératoire, pas d'inquiétude à avoir. ” La femme aurait presque pu être rassurante, n'eut été son ton froidement mécanique. “Le docteur va vous poser quelques questions, d'accord ? Nous vérifions juste que tout est en ordre -mais encore une fois, ne vous inquiétez pas.” Et tout cela accompagné d'un sourire forcé dont toute joie était extraite.

Angoissant, en réalité.

Il fallait que je me reprenne. Que je retrouve mes esprits. Parce que cette femme, elle avait quelque chose. Elle était trop impassible. Trop raide ; trop crispée. Elle dégageait une étrange impression de... non-vie.

Je détaillai l'endroit où j'étais avec circonspection. C'était blanc, lumineux. Une atmosphère à la fois propre et impersonnelle. Un hôpital ? Cette hypothèse fut confirmée quand je m'aperçus que je portais une espèce de blouse d'un vert d'eau délavé. Hôpital, donc. La femme avait parlé d'opération... En avais-je subi une ?
Je passais d'un état de confusion avancé à une anxiété croissante, qui se cristallisa bientôt en une boucle de question qui tournait sans cesse, se heurtant aux parois de mon crâne comme l'aurait fait un oiseau affolé dans une cage de verre. Où étais-je ? Qui étaient ces gens ? Et surtout, que m'était-il arrivé ?

La femme dût percevoir ma nervosité grandissante, car elle eût un simulacre de sourire apaisant. “Allons, ce n'est pas la peine de vous en faire. Vous n'avez aucune raison de vous inquiéter, n'est ce pas ?”
Je frissonnai. Avais-je seulement imaginé la menace sous-jacente de sa phrase ? J'ouvrais la bouche pour l'interroger sur la situation, quand un homme apparut dans l'encadrement de la porte restée entrouverte. Il affichait une expression avenante, et je supposai qu'il s'agissait du docteur. L'étau d'angoisse qui m'enserrait la poitrine se relâcha légèrement, et je mesurai seulement la tension que la présence de la femme faisait peser sur moi.

Elle m'oppressait.

“Je vais simplement vous poser quelques questions, afin de vérifier que vous avez aucun préjudice dû à l'opération, fit le docteur d'une voix aimable. Et pourtant, mon coeur se serra, car il avait la même voix totalement dénuée de sentiments, les mêmes yeux vides malgré son air prévenant. Il était comme elle.

J’acquiesçai en silence, la gorge trop nouée pour pouvoir prononcer un mot.
“Très bien... commençons, alors. Combien voyez vous de doigts ?
- Trois.
- Parfait. De quelle couleur est mon stylo ?
- Bleu. Excusez-moi, mais...
- Chaud ou froid ?
- Chaud. Je suis désolée, mais j'aimerais...
- Date d'aujourd'hui ?
- J'aimerais bien savoir où je... La date.
- La date d'aujourd'hui, effectivement. Pouvez vous me la donner ?
- Non. Je veux dire... Je ne peux pas. Je ne la connais pas.

- Vous ne connaissez pas la date d'aujourd'hui ?
- Vous ne savez pas où nous sommes ?”
Ils avaient parlé tous deux en même temps, se lançant un regard curieux. Le docteur reprit la parole, d'un air nettement moins aimable.
- Pouvez vous nous communiquer votre âge, mademoiselle ?
- Je... Non.
- Première Déclaration Panégyrique ?”

Je sentais presque les majuscules résonner à la façon dont il avait prononcé ces mots. Mais je n'avais absolument aucune idée de ce que pouvait être une Déclaration Panégyrique. Face à mon silence, le docteur afficha un air entre la consternation, l’affolement, et le... dégoût ? Et lorsqu'il reprit la parole, son ton était si glacial que je pus presque sentir le sang se geler dans mes veines.

“Votre nom.”
Et j'allais dire que je ne le savais pas plus, lorsque mes lèvres bougèrent, comme mues par une force qui dépassait ma volonté. Le nom vibra sur mes cordes vocales, roula sur ma langue ; il tomba comme une sentence de ma bouche.


“Yellow.”