« J’ai les yeux posés sur un monde en déclin. Les vies qui s’y traînent encore ne valent plus grand-chose, et encore moins la peine que nous prenions soin d’elle. L’Humanité est décadente, et il n’existe plus aujourd’hui une terre qui n’ait pas été souillée sur son passage. Les forêts brûlent, les oiseaux tombent, les rivières empoisonnent leurs rives. Plus rien n’échappe à l’Homme et à ses caprices.
Pourtant, je vois bien, moi, qu’il existe des cœurs de résistance. Je vois, moi, que des âmes ne sont pas prêtes à se damner à l’enfer humain, et à se courber en guise de soumission. Et je veux que nous nous battions pour elles. Je veux les aider dans leur quête de Liberté. Nous n’avons pas créé toutes ces vies pour les voir se détruire dans la folie et la haine! Et nous ne resterons pas impuissants devant tant de massacres. Qui est avec moi ? »

La rivière coulait toujours sous l’ombre des pins. Quelques jonquilles s’épanouissaient déjà sous le faible Soleil hivernal, alors même que les beaux jours ne devaient arriver que dans quelques lunes encore. La chaleur était toute relative, et à l’aube, un nuage de vapeur se créait dans le souffle des chevreuils. Ce matin-là, une douce silhouette se glissait le long de la rive. Elle suivit le cours de la rivière, jusqu’à ce que des pierres plates lui permettent de sauter au milieu du courant. Elle observa l’amont, puis l’aval, et traversa finalement. L’autre côté du cours d’eau était envahi par les roseaux et les iris en été, mais en cette saison, le talus n’était recouvert que par les squelettes refroidis des plantes de l’année précédente. Il fallait avoir l’œil pour repérer les petites fleurs bleues qui commençaient à peine à éclore. Elles étaient très tôt cette année, et la guérisseuse les avait repérées totalement par hasard la veille. Une veine, oui vraiment. C’était tout ce dont elle avait besoin pour soulager les douleurs de l’un des guerriers de son clan. Elle retraversa la rivière, et disparue entre les arbres. Le monde redevint silencieux. Peut-être le malheur aurait-il pu être évité, si elle avait vu cette tâche verdâtre qui stagnait au bord de l’eau. Cette souillure semblait proférer des menaces et des présages de mort et elle avait déjà contaminé une grande partie de la rivière. Mais comment le jeune félin aurait-il pu savoir qu'il transportait un fléau? Le sourire aux lèvres, il apportait avec lui peine de vivre et condamnation à mort. Peu importera que l'on choisisse l'une ou l'autre, personne ne saurait être épargné.